Adieu crapauds, biches, hérissons, et cervidés
On se souvient que la RD 1075 serait, d’après le Département, particulièrement accidentogène. C’est cette dangerosité alléguée qui justifie les aménagements pharaoniques prévus entre le col du Fau et le col de la Croix Haute. Si l’on a vu ici (« ÉPISODE 2/4 - Sécuriser la RD 1075 ? ») que cet argument est plus que douteux, il existe en revanche une accidentalité silencieuse de la RD : celle des animaux sauvages victimes du trafic routier.
Prenons Capreolus capreolus, le chevreuil européen, reconnaissable à sa tâche blanche sur l’arrière-train, et présent sur l’ensemble du département de l’Isère, et en particulier dans le Vercors, la vallée du Drac, Taillefer et le Trièves. Établi prioritairement dans les milieux forestiers, il se rencontre également dans les zones montagneuses, les milieux bocagiers et dans les plaines arborées. Sa préservation passe avant tout par la conservation de son habitat via l’adaptation des pratiques forestières. Mais Capreolus capreolus fait aussi partie des animaux directement menacés par la mortalité routière.(1)
Début janvier, des cyclistes se rendant à la permanence du commissaire enquêteur à Clelles découvrent les cadavres de deux cervidés le long de la RD 1075. Des biches, semble-t-il. D’autres fois, ce sont des renards, des blaireaux, des crapauds, des chevreuils donc. Voilà à quoi ressemblent concrètement les « corridors écologiques » croisant la route mentionnée dans le DUP : de part et d'autre de la voie, les dépouilles d’animaux percutés, écrasés. D’autres espèces payent au prix fort la priorité donnée au transport routier, à l’hypermobilité et aux livraisons à J+1.
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Figure 1 : Deux cadavres de cervidés de part et d’autre de la RD1075. Photos prises le 3/1/2022 peu après l'aire de pique-nique en direction du col de la Croix haute.
Ces morts ne sont pas comptabilisées sur la RD1075, elles ne comptent pour rien sauf pour les compagnies d'assurance quand un pare-choc est endommagé. Mais des estimations ont été faites : en Europe, les routes tueraient 194 millions d’oiseaux et 29 millions de mammifères chaque année (Jaeger, Spanowicz, Zimmermann Teixeira, 2020)(2). Une étude faite il y a presque trente ans, jamais renouvelée, estimait déjà à 120 à 200 tonnes le poids des insectes tués chaque année en France par le trafic routier (Chambon, 1993)(3). Après 60 millions d’années d’existence, une espèce comme le hérisson est directement menacée d’extinction par le trafic routier et l’usage des pesticides. Sa mortalité, en France, aurait triplé ou quadruplé en quarante ans (4).
Pourrait-on arrêter de considérer les animaux uniquement comme des obstacles et des dangers pour la sécurité routière ? Pourrait-on admettre qu'une voiture lancée à 80 ou 90 km/h est une arme mortelle pour tous les vivants ? Les routes découpent le territoire des animaux, les forcent à des traversées dont, souvent, ils ne réchappent pas. La RD1075 a déjà trop d'emprise, elle va déjà trop vite, elle est déjà trop létale. En pleine 6ème extinction de masse de la biodiversité, les morts provoquées par la RD sont scandaleuses. Les voies de dépassement ne feraient qu'aggraver la situation. Nous sommes fatigué·es de porter tous ces deuils. Il nous faut, de toute urgence, ralentir.
(1) À côté de leur impact direct, les routes exercent aussi un impact indirect sur les populations animales. Ainsi Capreolus capreolus fait également face aux conséquences du réchauffement climatique, qui a largement à voir – on le sait avec certitude désormais – avec les émissions de CO2 d’origine anthropique, liées en particulier au trafic routier en France. L’avancée continue du printemps depuis trois décennies ne permet pas aux faons, dont la naissance est stable entre fin mai et début juin, de s’alimenter à un lait suffisamment nutritif. Leurs chances de survie s’en trouvent significativement diminuées.
(2)Étude publiée sur le site The Conversation : https://theconversation.com/wildlife-can-be-saved-from-becoming-roadkill-with-a-new-tool-that-finds-the-best-locations-for-fences-147153.
(3)https://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i88chambon.pdf