Conduite genrée
Quel genre d’accidents sur la RD 1075 ?
Nous avons souligné précédemment (1) que le Département était incapable de fournir des données d’accident fiables : comparaison faussée entre les accidents comptés par lui sur un petit segment de route de montagne et l’ensemble des accidents au km compté par la police et la gendarmerie sur des routes départementales hors agglomération ; chiffres départementaux discordants et a priori moins fiables que les données collectées par les forces de l’ordre et qui alimentent les données de sécurité routière officielles ; absence de données sur la nature des accidents (collision frontale en dépassement ? collision latérale en intersection ? sortie de route ? choc avec un piéton ou un animal ?) et sur la cause connue des accidents (manque de visibilité en dépassement, excès de vitesse, consommation d’alcool, verglas, etc.).
Il existe pourtant un outil cartographique permettant une approche ciblée et fine des spécificités de l’accidentalité de la portion col de Fau Col de la Croix Haute de la RD 1075. L’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière propose une carte croisant position géographique des accidents et caractéristiques de ceux-ci (https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/cartographie-des-accidents-metropole-dom-tom). Même s’il manque plusieurs accidents graves et deux accidents mortels sur cette base, celle-ci nous donne des informations précieuses qui montrent que ce n’est pas l’aménagement de la RD qui est intrinsèquement dangereux, mais que l’accidentalité découle avant tout de comportements routiers genrés.
La base cartographique documente 29 accidents entre 2011 et 2020 (lieux, date et heure, nombre, sexe et âge des conducteurs, passagers et piétons impliqués, nombre et type de véhicule impliqué, gravité des atteintes corporelle). 16 des 29 accidents documentés n’impliquaient qu’un seul véhicule, ce qui exclut d’office la piste d’une collision frontale lors d’un dépassement ou d’un choc latéral à une intersection. On voit donc qu’avec les voies de dépassement le département donne une réponse hors sujet à une problématique d’accident qui concerne majoritairement des véhicules seuls. Par contre, pour ces 16 accidents « isolé », le conducteur était un homme dans 12 cas.
Pour les 13 accidents impliquant plusieurs véhicules (de deux à trois). Il est impossible de savoir s’il s’agit de collision lors de dépassement, lors de croisement à une intersection ou avec un véhicule à l’arrêt. Néanmoins 7 collisions sur 13 impliquaient des motos et tous les motards impliqués étaient des hommes. Quelque-soit le type de véhicule, 24 des 27 conducteurs impliqués dans des chocs entre véhicules étaient des hommes. L’accident de type collision est encore plus masculin que l’accident isolé.
La surreprésentation masculine se retrouve dans la gravité des blessures des accidentés (qui elle-même nous renseigne sur la force des impacts lors des accidents). Ces 29 accidents documentés ont causé trois morts, 32 blessés avec hospitalisation et 6 blessés légers. Les trois morts étaient tous des hommes, 22 des 32 hospitalisés étaient des hommes, 5 des 6 blessés légers étaient des hommes.
Par contre, c’est plus souvent dans les véhicules conduits par des femmes que l’on trouve des personnes (conductrices ou passagers) n’ayant aucune blessure : 7 personnes sans blessures dans les 7 véhicules conduits par une femme contre seulement 5 personnes sans blessure dans les 22 véhicules conduits par des hommes (à noter que pour les non blessés on a exclu du décompte les collisions asymétriques1). Ce dernier point suggère que les femmes conductrices, tant dans des accidents isolés que dans des chocs avec un autre véhicule, ont eu un comportement routier minimisant la gravité de l’accident qui les impliquaient.
Cette surreprésentation masculine est à l’image des données nationales recueillies par l’Observatoire National Interministériel sur la Sécurité Routière (https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/etat-de-l-insecurite-routiere/bilans-annuels-de-la-securite-routiere/bilan-2019-de-la-securite-routiere). En 2019 84% des responsables d’accident mortel étaient des hommes, 77% des morts et 64% des blessés sur la route étaient des hommes. Ces hommes tués ou blessés étaient au volant 9 fois sur 10, alors que parmi les 23% de femmes mortes et les 36% de blessées, celles-ci n’étaient conductrices que 4 fois sur 10 (passagère ou piétonne dans les autres cas).
Le sujet est sensible et aucun responsable politique local ne semble avoir le courage d’en parler, la socialisation masculine, autrement dit la façon dont on éduque les jeunes garçons, les représentations de la masculinité qui sont valorisés dans les films, les jeux vidéo ou les sports, encouragent la prise de risque sur la route comme ailleurs. On nous dit que le nombre d’accident augmente mais il n’augmente pas sans raison, ce n’est pas le profil de la RD 1075 qui peut y être pour quelque chose puisqu’il n’a pas changé. Il ne reste que les comportements, et malheureusement ces comportements nuisibles contre lesquels il faudrait lutter sont très et trop masculins.