11 fevrier 22

RD 1075 : pour un projet alternatif

Une utilité publique non démontrée

La demande d’utilité publique repose sur l’impératif de sécuriser la portion de RD1075 comprise entre le col du Fau et le col de la Croix Haute. Qu’en est-il ?

Les chiffres du rapport 2018 de l’ONISR1 donnent, pour une période de cinq ans, 0.00152 personne tuée par kilomètre et par an, en moyenne, sur le réseau départemental principal et bidirectionnel en Isère (p. 39). Ce nombre moyen annuel est de 0.00187 pour les 32 km de la RD1075 entre le col du Fau et le Col de la Croix Haute (p. 11).

D’un point de vue statistique, vu qu’on raisonne à partir d’effectifs qui n’atteignent même pas la centaine, l’écart est non significatif. Cela signifie que contrairement à ce qu’affirme l’étude d’impact, cette portion de la RD1075 n’est pas particulièrement dangereuse. Etant donné les aléas climatiques auxquels est soumise une route de montagne, il est même étonnant qu’il n’y ait pas significativement plus de mort·es sur cette route par rapport au reste du réseau principal isérois.

Pour justifier les créneaux de dépassement, encore faut-il démontrer qu’il y a des accidents à l’occasion de dépassements. Si le Département est incapable de démontrer 1°) la dangerosité de cette route et 2°) l’opérativité des créneaux de dépassement pour lutter contre cette dangerosité alléguée, la demande d’utilité publique s’effondre.

Des Lichens ou du Département, qui écrit des « tissus de mensonge » comme Mme Puissat l’affirme dans la presse ?

Nous déplorons chaque victime de la folie routière et dénonçons leur instrumentalisation indécente pour justifier un projet démesuré, destructeur et dangereux. Les problèmes doivent être posés honnêtement, pour y chercher des réponses adaptées.

Une justification en contradiction avec la politique routière du Département

Au cours des 18 mois suivant la mise en place du passage aux 80 km/h au niveau national, une baisse de 6 % des accidents a été enregistrée en Isère pour les routes concernées (calculs à partir des données ONISR). Pourtant, en novembre 2021, le Conseil départemental de l’Isère a voté le relèvement de la vitesse maximale autorisée (VMA) à 90 km/h sur son réseau. Comment le Département peut-il d’une main défendre un projet d’aménagements sur la RD1075 justifié par la baisse de l’accidentalité et de l’autre relever la VMA à 90 km/h sur les routes placées sous sa responsabilité ?

Insincérité, données manquantes : étude d’impact biaisée, enquête publique faussée

Le Département prétend que le projet ne provoquera pas de hausse du trafic, tout en affirmant qu’il est guidé, outre l’impératif de sécurisation, par un objectif de développement touristique et économique. Ces deux assertions sont mutuellement exclusives. Si l’amélioration de la RD1075 engendre effectivement un développement économique et touristique alors on ne peut pas faire l’hypothèse d’une absence de hausse du trafic. Or c’est cette hypothèse qui sous-tend toute l’étude d’impact, et si elle est fausse, l’étude d’impact est fausse. S’il n’y a pas de hausse de trafic alors c’est que le projet ne fait pas de « cet axe un levier de développement économique », c’est à ce moment-là une des justifications du projet servant à invoquer l’utilité générale et l’intérêt public qui s’avère faux.

Au chapitre de l’insincérité, on note également l’assertion suivante : « Aucun projet connexe et pouvant avoir des effets cumulés avec le projet n’est connu à ce jour » (p.15 de la pièce B1). Le Département ne peut ignorer pourtant deux grandes opérations susceptibles d’augmenter significativement le trafic sur la RD1075 : • Le Comité d'Axe (instance qui regroupe les Conseils Départementaux et les représentations de l'État de toute la RD1075) a décidé le 3 juin 2021 la mise au gabarit pour tous les gros camions de 44 tonnes des passages sous la voie ferrée de Saint-Julien-en-Beauchêne et de La Faurie ; • Les importants travaux ayant lieu sur l’A480 dans l’agglomération grenobloise qui généreront un appel d’air.

Pour terminer, le flou entretenu sur la VMA qui serait appliquée sur le tronçon (80 km/h en général, 90km/h pour les créneaux de dépassement ? Ou 90 km/h tout du long, comme le Département s’en est donné la possibilité ?) empêche d’estimer de manière fiable les conséquences des aménagements sur l’attractivité de la route donc le trafic, ainsi que les pollutions, les impacts sur la faune, etc.

Une menace supplémentaire pour la ligne ferroviaire Grenoble - Gap, toujours sous l’épée de Damoclès d’une fermeture

Dans l’étude d’impact, quatre scénarios sont mentionnés. Le dernier fait l’hypothèse d’un « trafic moyen annuel mais sans aménagement [de la RD], avec investissement équivalent sur la voie ferrée Grenoble-Veynes. » À peine nommé, ce scénario 4 disparaît curieusement, et avec lui les prévisions de trafic qui lui seraient associées. Dommage, ce scénario avait l’air très pertinent, et sa comparaison avec les autres aurait été fort instructive !

Il a fallu engager un bras de fer avec le Département pour qu’il consente à verser 2 millions d’euros au pot commun des travaux pour la réfection d’urgence de la ligne ferroviaire – 2 millions à mettre en regard des 56 millions minimum prévus pour la RD1075.

Le 20 mars 2019 au Sénat, Mme Puissat a demandé 200 millions à l’État pour les travaux sur la RD1075 et la RN85. Nous ne l’avons pas entendu exiger des budgets similaires pour les travaux nécessaires sur la ligne Grenoble-Veynes. Mettrait-elle en concurrence la route et le train ?

En favorisant les infrastructures routières au détriment de l’offre ferroviaire et des transports collectifs, on pousse au développement des unes et à la disparition ou à la réduction des autres. La suite est prévisible : devant la désaffection d’un service devenu inadapté, il sera aisé d’en décréter la fermeture.

Écosystèmes : un impact majeur et injustifiable

Seule l’utilité publique autorise non seulement des expropriations, mais aussi des dérogations à la protection des espèces et des milieux. Ici, alors que l’utilité publique n’est pas fondée, des pollutions et des destructions massives sont prévues.

La RD est très meurtrière, c’est évident. Très meurtrière pour les animaux qui essaient de la traverser. L'étude estime qu'une route plus passante, plus large, avec des véhicules roulant plus vite, ne tuerait pas davantage d’animaux : qui a fait ces calculs ? Ou bien est-il prévu de grillager entièrement les bords de route avec un maillage retenant jusqu’au moindre ver de terre, et quelques passages pour les biches téméraires, et faire ainsi de la RD un tunnel coupant définitivement le territoire des animaux ?

Pour tout projet de cette ampleur, des mesures de compensation, réduction et évitement sont obligatoires. Le dossier en prévoit donc, et il conclut qu’une fois ces mesures mises en place, l'impact résiduel serait positif pour la flore et positif ou neutre pour la faune. Mais comment l’impact d’un projet qui détruirait 22 ha de milieux naturels et agricoles pourrait-il être positif ? Est-ce à dire qu’il est prévu de débitumer ailleurs (et davantage que 22 ha, pour un solde positif) ? Que l’on nous montre, également, ces terres vierges de tout organisme où l’on pourrait exporter les plantes et les animaux expulsés des zones d’agrandissement de la RD1075, sans qu’ils prennent la place d’autres vivants.

Il faut dire clairement que la compensation repose sur une fiction : qui peut croire que la non-destruction d’un écosystème annule et répare la destruction d’un autre ?

Mme Puissat n’en est pas à son premier coup contre la biodiversité, les milieux fragiles et précieux. Le 13 février 2019, elle exprimait au Sénat ses réticences vis-à-vis des préconisations de l’Union internationale pour la conservation de la nature sur la préservation d’espaces où les interventions humaines seraient réduites. Le 7 mars 2019, elle demandait une modification du code forestier afin que des défrichements en zone montagne puissent être exonérées des obligations de protection de la forêt. L’observatoire Politiques et animaux, qui tient un classement des élu·es d’après leur action vis-à-vis de la condition des animaux, la classe par ailleurs bonne dernière, 348ème sur 348 sénateur·ices. Comment pourrions-nous faire confiance à cette élue pour protéger la biodiversité dans les milieux fragiles et précieux que la RD1075 vient couper ?

Un projet qui bafoue les grandes orientations nationales sur le climat et la biodiversité

Centré sur le développement de la circulation en voiture individuelle et du fret par camions, ce projet contribuerait à empirer le bouleversement climatique, l’artificialisation des sols et l’éradication de la biodiversité. Il rame à l’envers par rapport aux dernières lois et engagements internationaux de la France : • maintenir le réchauffement sous la barre des + 2°C (Accords de Paris de 2015) ; • enrayer la déforestation d’ici 2030 (COP 26) ; • tripler la part du vélo, faciliter les alternatives à la voiture individuelle et diminuer de 37,5 % les émissions de CO2 pour 2030 (loi Orientation des Mobilités de 2019) ; • etc. Il va également à l’opposé de la loi Climat et résilience de 2021, qui prévoit zéro artificialisation nette d’ici 2050 – obligation à laquelle toutes les collectivités locales doivent se soumettre – et une division par deux du rythme d’artificialisation dès 2030. Est-ce pour cela que l’Isère se dépêche de faire ces travaux, avant qu’ils soient totalement illégaux ?

C’est à se demander : est-ce que ce sont vraiment les Lichens qui « n’ont aucun respect des institutions », comme Mme Puissat le proclame par voie de presse ?

Quelles alternatives ?

Nous sommes attachés aux enjeux auxquels est censé répondre le projet, à savoir : • Diminuer le nombre et la gravité des accidents ; • Assurer la sécurité pour tou·tes les usager·es (y compris riverain·es, cyclistes, piéton·nes) ; • Réduire les pollutions (sonores, atmosphériques, des sols et des eaux) ; • Fiabiliser les temps de parcours ; • Prendre le temps d’apprécier le paysage ; • Préserver les milieux naturels et la biodiversité ; • Sans augmenter le trafic !

Pour satisfaire ces objectifs, plus sûrement et à moindre coût (économique, écologique et social), nous formulons les contre-propositions suivantes : • Renoncer aux voies de dépassement et à la rectification de virage ; • Concernant les aménagements de carrefours, renoncer aux créations de voies d’accès et, plus largement, aux opérations qui ne sont pas strictement indispensables pour la sécurité ; • Réduire la VMA à 70 km/h voire 50 km/h dans les zones dangereuses et à proximité des croisements ; • Dans ces zones, des aménagements pour éviter les dépassements (réduction de la largeur de la route, séparation des voies, etc.)  ; • Aménager des pistes cyclables protégées par des délimitations physiques (peut-être en utilisant certains délaissés de voirie de l’ancien tracé de la RN 75). L’itinéraire devra être continu, raccordé aux gares et aux communes traversées. Plus largement un réseau cyclable devra être déployé dans tout le Trièves ; • Créer quelques créneaux véhicules lents, de longueur réduite ; • Mettre en œuvre le « scénario 4 » : donner la priorité à la remise en état et au développement de la ligne de train (desserte des 15 gares du circuit, solutions de transport collectif pour s’y rendre, augmentation du nombre de trains, relance du fret ferroviaire). Ces propositions permettent un aménagement territorial ajusté aux usages des habitant·es du Trièves, et répondent aux enjeux sociaux et environnementaux de notre époque

Sur la base de ces éléments, nous demandons à la commission d’enquête d’émettre un avis défavorable à ce projet.

Les Lichens