Chantal : "à qui profite le crime"?

Chantal connaît Saint Maurice depuis son enfance. Sa famille y a acquis en 1959 un terrain sur lequel elle a bâti un chalet qu’elle possède aujourd’hui en SCI. Chantal, qui a investi cette maison comme le dernier grand projet de sa vie, y vit depuis 2019, date de sa retraite, après y avoir réalisé d’importants travaux. Elle se passerait bien de la proximité de la RD1075, mais elle fait avec : double haie tout autour du terrain en forme de triangle, double vitrage, et surtout elle renonce à vivre dans le jardin en haute saison quand le trafic fait plus que doubler.

Et puis, en 2021, elle apprend que les aménagements prévus sur la RD1075 vont l’impacter directement. Non seulement en raison de l’intensification du trafic qui en résultera à terme (le « trafic induit » par l’augmentation de la vitesse moyenne de circulation), l’accroissement de la pollution sonore, atmosphérique, projetée qui en découlera, mais aussi en raison de l’emprise du projet sur son terrain. -44% sur une superficie de 2 126m2, c’est presque la moitié qui devrait être rabotée.

plan

C’est quasiment la moitié du terrain (composé des parcelles B821 et B822) qui disparaîtrait avec l’emprise du projet (en vert). Le logement de Chantal, situé sur la parcelle B822, est cerné par le projet d’aménagement.

Tant pis pour le potager face aux Écrins, la haie, les oiseaux qu’elle héberge, le mur en pierre bâtis par son père et son grand-père, sa vieillesse au grand air ! Fallait avoir plus de sous et s’établir loin des nuisances d’une départementale qui connaît en réalité la fréquentation d’une nationale ! La bonne nouvelle c’est que Chantal ne s’ennuiera pas, elle pourra toujours jouer au jeu des plaques d’immatriculation avec tous les camions qui passeront littéralement sous ses fenêtres…

Tout ça pour quoi ? D’après la Déclaration d’utilité publique (DUP), il s’agit d’aménager un carrefour en « X » améliorant la visibilité pour l’accès à la RD 1075 depuis les voies secondaires, le passage des engins agricoles et des engins les plus longs, et la visibilité et la « lisibilité » de l’intersection depuis la départementale.

Mais peut-on vraiment parler d’utilité publique ?

Chantal a du mal à encaisser les raisons avancées par le dossier de DUP et questionne la version de l’utilité publique que celui-ci prétend refléter. Il ne s’agit pas de contester le principe de l’expropriation pour utilité publique ; il s’agit de savoir si l’utilité publique, dans ce cas précis, est bien là où on la désigne.

Créer un carrefour à quatre voies est-il vraiment justifié lorsqu’en fait de croisement l’on parle d’une piste forestière et d’un chemin communal ? Éviter une manœuvre supplémentaire à quelques grumiers et le recours à une signalétique temporaire lors d’opérations ponctuelles de débardage, est-ce vraiment une nécessité au regard de l’artificialisation que cela génèrerait, notamment de parcelles porteuses de sources, et de l’arrachages d’arbres concourant entre autres à la stabilisation des sols (des frênes et des érables, qui bordent la route en aval) ? « À qui profite le crime ? », se demande Chantal.

Il faut savoir que la portion de route concernée longe, d’une part, quelques mètres plus bas, en face, un hôtel-restaurant, et d’autre part, quelques mètres plus haut, du même côté, dans un virage limité à 70km, un centre de vacances adaptées. Si le but du Département était vraiment d’améliorer la sécurité de tou·tes les usager·es, ne commencerait-il pas, comme le suggère Chantal, par réduire la vitesse sur ce tronçon ? Et plus largement, ne serait-il pas temps d’envisager un changement de méthode, de troquer l’aménagement classique, du haut vers le bas, pour un aménagement démocratique, celui qui fait du « public » (aménagement public, utilité publique) un maître-mot, qui part du public, des usages et des savoirs habitants pour définir une politique ?

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