La vitesse ou la vie

Accidentologie sur la RD1075 entre les col du Fau et de la Croix Haute : c’est surtout la vitesse qui est en cause

Collectif des Lichens – février 2021

L’essentiel

L’analyse des données du ministère de l’Intérieur montre que le tronçon n’est pas particulièrement accidentogène, comparé aux routes du même type en France. La part des sorties de route et des accidents de motos, typiques conséquences des excès de vitesse, est notable. Les trois points noirs du secteur, pourtant bien connus, n’ont jamais été sécurisés par le Département. Alors que la limitation à 80 km/h a fait ses preuves en matière de gain de sécurité, la création de voies de dépassement à 90 km/h apparaît complètement contre-productive.

Précisions méthodologiques

Dans sa communication, le Département invoque le chiffre de 282 accidents entre 2009 et 2020. Il s’agit des accidents recensés par les services du Département, qui incluent non seulement les accidents corporels, mais aussi les accidents uniquement matériels, les plus nombreux. Ainsi, le Département indiquait au journal les Nouvelles du Pays en 2018 que sur le seul virage de « Farceyre » en bas du col du Fau, une voiture fait une sortie de route « toutes les trois semaines », le plus souvent sans gravité. Si on prend ce chiffre au pied de la lettre, ce virage représente à lui seul les deux tiers des accidents recensés ! Le problèmes des chiffres communiqués par le Département, outre qu’il n’a jamais publié leur détail (types d’accidents, lieux et comportements concernés, etc.), c’est qu’il est impossible à comparer, et donc, à analyser. Les Lichens ont donc étudié les données statistiques cartographiées issues du fichier « BAAC » (2005 – 2019) établi par le ministère de l’Intérieur, qui recense tous les accidents corporels. Les chiffres étant disponibles à la fois localement et nationalement, l’analyse devient possible, et intéressante.

Une route plutôt moins accidentogène que la moyenne nationale

D’abord, il faut tordre le cou à une idée reçue : le tronçon de RD1075 situé entre les cols du Fau et de la Croix-Haute n’est pas particulièrement accidentogène. Le tronçon compte un total de 46 accidents sur la période étudiée (15 années), soit en moyenne 3 par an, ou encore 96 accidents pour 1000km et par an. Si on compare ce tronçon à l’ensemble des routes départementales françaises, il paraît plus accidentogène. Mais si on le compare aux autres routes du même type (réseau départemental dit « structurant »), le taux d’accidents est sensiblement inférieur à la moyenne nationale.

Tronçon de RD1075 Ensemble des routes départementales Réseau « structurant »* Nombre moyen de décès annuel pour 1000 km (2005- 2019) 11 6,5 13 Nombre moyen d’accidents corporels pour 1000 km (2005 -2019) 96 57 114

Une typologie d’accidents impliquant la vitesse excessive

La typologie des accidents est également dans la moyenne de ce type de routes. Premier fait notable : la part des accidents concernant les deux roues est un peu plus élevée que la moyenne nationale. Les accidents impliquant un véhicule seul (typiquement, sorties de routes pour cause de vitesse excessive) représentent presque la moitié des faits recensés. En clair, plus encore qu’au niveau national, la vitesse est au cœur des problématiques rencontrées. Seul un accident impliquant un piéton est relevé, et aucun concernant des cyclistes : il faut dire que ceux-ci désertent quasi totalement l’axe, ce qui constitue en soi un problème. La part de collisions frontales semble légèrement inférieure à la moyenne nationale. Autrement dit, la problématique des dépassements dangereux, bien que réelle, ne semble pas particulièrement élevée pour ce type de route.

Tronçon de RD1075 Ensemble des routes hors agglomération Part d’accidents impliquant une moto ou motocyclette 33 % 28 % Part d’accidents impliquant une voiture seule (sorties de routes dues aux excès de vitesse notamment) 46 % 44 % Part d’accidents impliquant deux ou plusieurs voitures 54 % 49 % – dont part de collisions frontales 22 % 24 % Part d’accidents impliquant un piéton 2 % 5 %

Trois points noirs connus, jamais sécurisés

La revue de détail des accidents apporte deux types de renseignements. D’abord, 32 % des accidents ont lieu en juillet et août (19 % en moyenne nationale) : ces deux mois sont 5 fois plus accidentogènes que le reste de l’année. Ensuite, sur le plan spatial, 40 % des accidents concernent la montée du col de la Croix-Haute, sur les communes de St-Maurice-en-Trièves (9 accidents) et Lalley (10 accidents). Sur l’ensemble des 32 km, seuls trois points noirs (regroupant au moins 3 accidents) apparaissent. Ils sont tous trois situés dans les deux communes précitées :

– le virage des Deviras (Lalley) compte trois accidents : trois sorties de route impliquant un seul véhicule à chaque fois, dont deux motos.

– le virage du Snack (St-Maurice) compte lui aussi trois accidents, impliquant deux poids-lourds et une moto.

– enfin la petite ligne droite située au niveau de la boulangerie de la Commanderie (St-Maurice), avec trois accidents également. En 2010, une moto a fait des tonneaux. En 2014, une voiture a fauché un piéton. En 2017, un choc frontal a fait 8 blessé-es. L’ancien maire demandait la limitation à 70 km/h... Elle n’a jamais eu lieu. A la place 800 000 euros vont être dépensés.

En dépit de la documentation des accidents et de leurs causes par les autorités, le Département n’a jamais posé de limitation de vitesse sur aucune de ces trois zones.

Des voies de dépassement contre-productives

Le Département prétend répondre à une problématique de « sécurité » en aménageant des voies de dépassement, censées éviter les dépassements dangereux. D’abord, ceux-ci ne semblent pas constituer une problématique de sécurité particulièrement élevée (moins que les motos et leur vitesse excessive, par exemple). Quand bien même, le remède proposé semble bien pire que le mal.

D’une part, les premières études réalisées sur le passage à 80 km/h prouvent que le gain de sécurité est réel (au moins 10 % de baisse des accidents à conditions égales), et plus encore sur les routes bidirectionnelles comme la RD1075. Au contraire de Jean-Pierre Barbier, président du Département de l’Isère et fervent partisan de la vitesse, aucune personne sérieuse ne conteste aujourd’hui ce fait. Or, la mise en place de 11 km de voies de dépassement projetée (plus du tiers du parcours total), conduirait à un passage à 90 km/h sur l’ensemble de cette zone, qui risque fort d’augmenter la gravité des accidents.

D’autre part, les aménagements projetés risquent de causer une hausse de fréquentation de l’axe, et donc mécaniquement, des accidents. Ce n’est pas tout : trois études récentes et concordantes réalisées par l’observatoire national de la sécurité routière concluent qu’en matière de routes bidirectionnelles hors agglomération « le réseau le plus confortable est celui qui enregistre le plus d’accidents mortels ». Les aménagements de confort projetés risquent d’entraîner une hausse des accidents et de leur gravité. Dans un document d’orientation sur la sécurité routière, la préfecture de l’Isère indique : « Ce fait contre-intuitif que l’on se tue le plus sur les routes qui semblent a priori les plus sécurisées doit être rappelé systématiquement dans les messages aux usagers qui n’en ont pas toujours conscience ». Visiblement, le Département non plus.

De vraies solutions (moins coûteuses) existent

De vraies solutions existent. D’abord, favoriser le report modal sur le train, notamment le fret, mais aussi les flux touristiques, cinq fois plus accidentogènes. Ensuite, limiter la vitesse sur les tronçons à risque. Enfin, d’autres aménagements ont fait leur preuve. Sur une zone particulièrement accidentogène (5 accidents par an sur un tronçon de 25 km, deux fois plus que la RD1075), la Seine-Maritime a fait le choix notamment de réduire la chaussée pour faire respecter la vitesse. Bilan : plus aucun accident à déplorer depuis. Pour arriver à ce résultat, la Seine-Maritime s’est appuyée sur une vraie démarche de diagnostic... L’Isère va-t-elle se mettre elle aussi au travail ?